Inflation, piège à cons ? - Résultat d'exploitation(s)

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Inflation, piège à cons ?

Screenshot - 17_04_2011 , 13_57_56 «Argent, trop cher, trop grand, la vie n'a pas de prix». Cette chanson de Téléphone est sortie sur l'album Au coeur de la nuit du groupe le 25 octobre 1980. Les paroles sont une dénonciation d'une société obsédée par le tout-pognon, ce qui ne s'arrangera pas dans les années 80, malgré l'accession au pouvoir de François Mitterrand quelques mois après. Mais le slogan imparable qui sert de titre à la chanson peut aussi avoir été influencé par l'inflation qui sévit à ce moment-là: 1980 a vu la plus forte hausse des prix en France jusqu'à nos jours, +13.6% sur l'année. Globalement, pendant environ dix ans après le premier choc pétrolier, la France a vécu avec une inflation de 10% par an environ. Puis, sous l'impulsion de Jacques Delors, elle est maîtrisée. Elle passe sous la barre des 5% en 1986 et n'est jamais repassée au-dessus depuis. Ma génération (j'ai atteint la majorité en 1990) s'est alors habituée à vivre avec des prix bougeant d'environ 2% par an, soit une quasi-stabilité. Ce chiffre "magique" de 2% a été inscrit dans les statuts de la Banque Centrale Européenne (BCE) qui doit rester "à proximité mais en-dessous" de 2% d'inflation. Mission accomplie pour son président, Jean-Claude Trichet, qui réussit à afficher 1.97%! L'inflation est-elle donc à écrire au passé de l'histoire économique européenne? Un cauchemar germanique où on payait son repas en milliards de marks en 1923?  Au contraire, elle revient au centre de l'actualité, hantise pour certains, souhait pour d'autres. Alors, l'inflation, solution magique pour rembourser la dette, ou piège à cons pour les citoyens? Ça dépend pour qui ...
Graph1955Hausse des prix en glissement annuel de 1955 à nos jours ; source : France Inflation
L'inflation de retour... dans les discours
L'inflation, on en parle! Le mot était mentionné dans 133 articles de Libé en 2009, 158 en 2010 et déjà 50 en 3 mois 1/2 cette année. La dernière fois où il y avait eu un tel "buzz", c'était en 2008 avec 387 articles la mentionnant (plus d'un par jour!). Ceci est confirmé par Google Trends qui donne la fréquence à laquelle le mot est recherché et apparaît dans les articles d'actualité:
Screenshot - 17_04_2011 , 11_43_22On voit nettement que 2008 avait constitué un pic avec notamment le discours du président de la Fed, Ben Bernanke, en juin de cette année-là (A). Il se déclarait décidé à lutter contre l'inflation, sur fond de hausse du baril de pétrole et des prix alimentaires (avec les émeutes de la faim apparues à ce moment-là). Puis la crise est passée par là et l'inflation est rentrée dans sa boîte. Trois ans plus tard, retour à la case départ: les pays "émergés", Chine en tête, continuent leur croissance à un rythme faramineux, le baril et les matières premières flambent de nouveau et les prix se remettent à augmenter aux USA et en Europe. 
Mais la différence avec 2008, c'est que la crise est survenue entre temps, et notamment l'explosion des dettes souveraines. Le discours a donc changé. La BCE est de longue date critiquée pour n'avoir comme seule mission que de faire la chasse à l'inflation à l'exclusion de toute autre considération, notamment la croissance. C'est à nouveau le cas avec la hausse du taux d'intérêt de la BCE de 25 points de base, décidée sur la base d'une menace inflationniste mais qui risque de tuer la timide reprise européenne dans l'oeuf. Mais les positions vont désormais au-delà. Les dettes monstreuses accumulées par les Etats ne semblent plus remboursables. Dès lors, des voix s'élèvent pour réclamer qu'on "laisse filer" l'inflation pour alléger le fardeau de la dette. Pour Alain Minc, c'est même «l'inflation ou la guerre». Le problème étant de maîtriser cette inflation. La métaphore usuelle est celle du tube de dentifrice: une fois qu'on a fait sortir l'inflation du tube, on ne sait plus la faire rentrer... donc quand certains prônent de la laisser monter à 3 ou 4%, on ne peut garantir que cela ne va pas finir comme au début des années 80 à 13%. Inflation salutaire contre inflation délétère... mais de quoi parle-t-on au juste?
L'inflation, c'est comme le cholestérol
Selon la BCE, l'inflation, c'est la «hausse généralisée des prix». L'INSEE est un peu plus précis. Selon lui, c'est une «perte du pouvoir d'achat de la monnaie» qui se traduit par la hausse des prix. On peut donc avoir une idée de l'inflation par le calcul de l'Indice des Prix à la Consommation (IPC) qui est souvent présenté comme étant le chiffre de l'"inflation". Or, l'INSEE précise bien ça n'est pas une mesure complète, l'inflation ne se cantonnant pas à la consommation des ménages. Il y a en effet une autre variable: les revenus et notamment les salaires! En effet, si les prix montent mais que les salaires stagnent, cela induit mécaniquement une perte de pouvoir d'achat, donc un appauvrissement. Alors que si les deux montent de concert (voir si les salaires montent plus vite), il n'y a pas d'effet sur le pouvoir d'achat (il peut y en avoir sur d'autres facteurs comme l'épargne).
En fait, comme pour le cholestérol, il existe deux sortes d'inflation: la bonne et la mauvaise. La bonne inflation, c'est quand l'économie tourne à plein régime. Dans ces cas-là, le taux de chômage doit être bas (plein emploi) et certains secteurs vont avoir du mal à recruter. Ils vont donc devoir augmenter les salaires puis répercuter ces charges supplémentaires dans les prix. On a ainsi un effet d'entraînement qui fait que salaires et prix augmentent ensemble grâce au dynamisme économique. C'est donc un "bon signe" auquel il faut néanmoins être attentif pour éviter que la machine ne s'emballe. Si l'effet est trop fort, la banque centrale va alors en général augmenter ses taux d'intérêt de manière à calmer le système (en ralentissant le crédit et l'investissement).
La mauvaise inflation, on la vit en ce moment: les prix augmentent mais les salaires ne suivent pas. Théoriquement, quand la croissance est faible et que les revenus des ménages n'augmentent pas, la consommation est atone et les entreprises n'ont d'autre choix que de garder des prix bas pour continuer à vendre. L'inflation est alors censée être très faible. Dans certains cas, elle peut même être négative comme au Japon dans la décennie 90. On parle alors de déflation. Mais cette théorie est vraie pour une économie en "circuit fermé". Or, nous dépendons de l'extérieur, notamment pour les hydrocarbures et les matières premières. Quand les prix de celles-ci flambent, comme c'est le cas actuellement, les prix augmentent (prix des carburants à la pompe par exemple) et génèrent une "inflation importée". Qui n'est ni plus ni moins qu'un impôt prélevé sur les ménages au profit des producteurs de matières premières. C'est un appauvrissement net pour les consommateurs.
L'INSEE propose un indice permettant d'y voir un peu plus clair: l'inflation sous-jacente (ISJ). Il prend alors l'indice de hausse des prix et en exclut les prix soumis à intervention de l'Etat et ceux trop volatils car dépendant fortement des marchés, notamment extérieurs: pétrole, gaz, électricité, produits frais, viande,... L'ISJ est donc censé refléter une vision de l'inflation plus connectée avec la dynamique économique. C'est en quelque sorte un indice de "bonne inflation". Voici l'évolution de l'IPC (Indice des prix) et de l'ISJ comparés :
Graphique1Source : INSEE
L'enseignement en est assez clair : l'ISJ, la "bonne inflation", est assez stable tout au long de la crise. Par contre, depuis mi-2010, il baisse et n'est plus guère que de 0.5% en glissement annuel, peut-être premier signe d'une nouvelle contraction de l'économie suite aux mesures d'austérité mises en place. L'indice des prix "complet", lui, est assez déconnecté de cette réalité franco-française : il flambe en même temps que le pétrole et les autres matières premières en 2008, passe dans le négatif en 2009 quand les prix de ceux-ci refluent et réaugmente maintenant. Ainsi, sur les 12 derniers mois, les prix de l'énergie ont augmenté de 15.3%, les loyers de 1.6% et ceux de l'habillement ont reculé de 1.4%. Depuis 3 ans, on voit que ce sont les marchés mondiaux de matières premières qui donnent le "la" des prix en France. Ouvrant la porte au spectre de ce qu'a connu la France après les chocs pétroliers des années 70: la "stagflation", c'est-à-dire une stagnation économique accompagnée d'une hausse des prix importée de l'extérieur.
Les effets de l'inflation
Qui sont les gagnants et les perdants de l'inflation? Dans le cas (actuel) d'une inflation importée, tout le monde est (plus ou moins) perdant, les gagnants étant étrangers (monarchies pétrolières notamment). Plus ou moins cependant... les retraités ne voient pas leur revenus se dégrader puisque les pensions sont indexées sur l'inflation. De même, le SMIC est revalorisé à hauteur de la hausse des prix. Théoriquement, donc, ces deux groupes voient leur pouvoir d'achat préservé. Les autres, par contre, risquent fort de trinquer. En effet, les entreprises voient leurs comptes plombés par la hausse des charges (énergie, matières premières) et l'Etat cherche à tout prix à réduire son déficit. On peut donc penser que les victimes principales seront les salariés et fonctionnaires qui seront moins augmentés que l'inflation et vont se paupériser. De même, il est à peu près certain que ce sont les tranches "basses" de ces populations (les classes moyennes inférieures), celles dont le pouvoir de négociation est le plus faible, qui vont le plus souffrir. Ainsi, le SMIC risque de devenir une voiture-balai qui va "engloutir" de plus en plus de salariés et fonctionnaires. Pour eux, l'inflation agira comme un impôt.
Mais l'inflation a aussi un effet déterminant sur la dette. Ainsi, certains souhaitent le retour de l'inflation pour "alléger le fardeau de la dette". Nous avons un précédent historique: au sortir de la guerre, la France était lourdement endettée. Et pourtant, cette dette a été assez vite "digérée", notamment grâce à une très forte inflation (59% en 1948!) due notamment à la pénurie post-guerre. Cette inflation n'a pas été sans provoquer des remous dans l'opinion mais a été rapidement relayée par une croissance économique très forte et des hausses de salaire en conséquence.
Pourquoi l'inflation aide-t-elle l'Etat a rembourser sa dette? La France emprunte a un taux donné, en général fixe (il existe ceci dit des emprunts d'Etats indexés sur l'inflation, les OATi), sur les marchés pour une durée donnée (en général 10 ans). Si les revenus et les prix augmentent de 10% par an, les impôts levés par l'Etat vont progresser eux aussi de 10% par an (et même plus, car il faut y ajouter la croissance). Les annuités de remboursement de la dette, elles, ne vont pas bouger et être de plus en plus faciles à rembourser. Mais l'inflation peut seulement aider au remboursement des dettes passées. Notre problème, c'est que nous devons rembourser celles-ci mais que nous continuons d'en contracter. Or, une inflation accrue entraînera des taux d'intérêts plus élevés et augmentera le "prix" de l'endettement futur... L'idéal est donc de laisser filer l'inflation pour rembourser sa dette plus facilement lorsqu'on s'est remis à l'équilibre budgétaire ou presque. Nous en sommes loin (le déficit a été de 7% du PIB en 2010).
Par ailleurs, nous sommes actuellement dans une situation où les prix augmentent mais où les salaires progressent beaucoup moins vite. Dans ce cas, les recettes de l'Etat sur la consommation augmentent (via la TVA, par exemple sur l'essence) mais les impôts basés sur les revenus (Impôt sur le Revenu, CSG, ...) ne progressent guère. Donc ça n'aide pas beaucoup à rembourser la dette ... De plus, cette situation met en difficulté nombre de ménages qui doivent bénéficier de l'aide de l'Etat qui perd ainsi largement le peu qu'il a gagné sur la TVA. En résumé, la "bonne inflation" aide à rembourser la dette mais la "mauvaise" absolument pas.
Reste enfin le cas des épargnants. Keynes disait de l'inflation qu'elle "euthanasiait les rentiers". En effet, lorsque vous placez votre argent, ce qu'il rapporte réellement, c'est le rendement défalqué de l'inflation. C'est pourquoi les taux d'intérêt des placements réglementés (Livret A, LEP, ...) sont indexés sur l'inflation pour conserver un rendement à peu près constant. Pour l'épargnant sur ces produits, donc, pas de gains ou de pertes selon l'inflation. Par contre, les gains boursiers ne vont pas s'envoler avec l'inflation (c'est même en général plutôt l'inverse) et les plus-values vont donc être rabotées par celle-ci. Globalement, les petits épargnants sont plutôt protégés (épargne réglementée) et les gros plutôt défavorisés. Mais les effets sont plus complexes: les placements "longs" sont les plus touchés (une rente viagère, par exemple, est désastreuse pour son bénéficiaire) mais l'immobilier en général plutôt épargné (car il a tendance, en principe, à être impacté à la hausse par l'inflation). Là encore, ce sont plutôt les classes moyennes (ici hautes) qui trinquent car les plus gros patrimoines peuvent se payer des gestionnaires de fortune et optimiser les rendements dans un contexte incertain. 
L'inflation peut cependant nettement favoriser certains. Si la génération du baby-boom a pu accéder à une richesse sans précédent en France (et que va peiner à égaler la génération suivante), c'est grâce aux fameuses Trente Glorieuses mais aussi à l'inflation. En effet, quand les baby-boomers se mettent à acheter leur résidence principale, c'est en 1970 environ (ils ont 25 ans et se marient) et principalement à taux fixe. Personne ne voit venir les chocs pétroliers, l'inflation est assez basse (2.7% en 1967, 5.2% en 1970) et les taux de crédit immobilier raisonnables (8.6% pour les taux d'intérets long terme en 1970 soit 3.1% hors inflation). A partir de 1973, l'inflation flambe (9.2% cette année-là) et les prix sont multipliés par 3 entre 1974 et 1986. Les salaires suivent la même courbe. Mais pas les mensualités des appartements ou maisons qui restent fixes. Au fil des années, le remboursement de la résidence principale devient de plus en plus faible. Au final, c'est l'inflation qui a payé une (bonne) partie des appartements ou maisons dans lesquels résident nos baby-boomers retraités. L'inflation, ça peut parfois avoir du bon. 
Crédit photo : ZeroOne sur Flickr