Andrew Lahde, ce héros

Il y a quelque temps j'ai lu "The Greatest Trade Ever" de Gregory Zuckermann, qui narre les exploits de ceux qui se sont enrichis grace a l'explosion de la bulle immobilière (ce que l'on a designé, de façon insuffisante à mon avis, comme la crise des subprimes). Le principal et le plus connu d'entre eux est bien sur John Paulson, qui a gagné 15 milliards pour son hedge fund.


Mais celui qui a eu l'histoire la plus intéressante, telle qu'elle est racontée par Zuckermann est  sans doute Andrew Lahde, surtout a cause de la lettre ouverte qu'il a adressé a Wall Street.  


Voici son portrait tiré d' un article de Liberation: 


"A quelques kilomètres du monde merveilleux de Walt Disney, celui - magique - d'Andrew Lahde. Ce Californien de 37 ans - «le patron le plus performant du secteur des hedge funds» de ces deux dernières années, selon le Financial Times - a empoché des millions de dollars grâce à la chute des subprimes. Il y a trois semaines, il a subitement claqué la porte de son business, installé à une encablure de la plage de Santa Monica, à Los Angeles. Dans une lettre au vitriol datée du 17 octobre, qui a fait le tour du monde des salles de marché, il plaide pour une réforme de l'industrie des hedge funds qu'il«déteste» et se moque des patrons de grandes banques, des «idiots» toujours«accrochés à leur Blackberry».

L'un des portefeuilles de Lahde (US Residential Real Estate Hedge Fund V Class A) s'est fait remarquer grâce à un rendement spectaculaire de 870 % l'an dernier, avec un pic à + 1 000 % en novembre. Une performance record, même si Lahde n'est pas le seul à avoir réussi ce tour en jouant sur la baisse des titres de crédits immobiliers risqués. John Paulson, par exemple, a fait de même à New York.«C'était une façon très facile de faire de l'argent, le raisonnement est élémentaire. Beaucoup savaient que les subprimes allaient s'effondrer. Il suffisait d'avoir l'information et l'argent pour investir»,explique Paul Jorion, économiste à l'université de Los Angeles, UCLA. Audacieux, Lahde récolte donc quelques poignées de billets verts. Et part à contre-courant. Il prend une position courte, dans le jargon financier. En clair, pour empocher le jackpot, Lahde opte pour cette tactique qui consiste à vendre à terme, au prix fort, des titres que l'on ne possède pas encore, puis à les acheter quand leur prix est bas. Clé du succès du Californien, qui avoue dans sa lettre : «S'asseoir et attendre, c'est comme ça qu'on s'est enrichi sur la débâcle des subprimes.»

Contreparties. Pourquoi alors se retirer, en exhortant ses clients à ne plus chercher à le contacter ? Parce que pour que la recette miracle du short selling fonctionne, il faut trouver des contreparties prêtes à prendre le pari inverse. Des banques, le plus souvent. Or «avec les faillites et le manque de liquidités actuels, il y a un vrai risque d'absence de contreparties», note un analyste et gérant de fonds de Los Angeles. Pire, voilà que des régulateurs pointent leur nez et interdisent, au moins temporairement, ces pratiques (à Taïwan ou aux Etats-Unis, par exemple). Du coup, Andrew Lahde a fermé son portefeuille dès septembre. Il entrevoyait pourtant encore«des opportunités grâce à la crise». Un mois plus tard, arrivent donc les adieux, dans cette lettre qui circule de Londres à Los Angeles. «Bien écrite, sur un ton quasi anarchiste. Elle a fait beaucoup de bruit et nous a fait sourire», poursuit le gérant de fonds.

«Aristocratie». Lahde, parti à la retraite, est devenu une «star des financiers retraités». Pour Paul Jorion, «c'est un Jérôme Kerviel à l'américaine, il vient d'un milieu modeste et éprouve un ressentiment du fait de ne pas être né dans les classes dirigeantes». Mais contrairement au trader déchu de la Société Générale, lui a gagné son pari. Dans sa lettre, le Californien, diplômé à UCLA, s'en donne à cœur joie contre cette classe de milliardaires. «Des idiots dont les parents ont payé la prépa, Yale puis le MBA à Harvard. Ces gens qui ne valent pas l'éducation qu'ils ont reçue sont arrivés à la tête d'entreprises comme AIG, Bear Sterns et Lehman Brothers et à tous les échelons du gouvernement.» Ils sont à ses yeux les membres d'une «aristocratie» qui lui a «rendu plus facile la tâche de trouver des gens assez stupides pour prendre [ses] contreparties» sur les marchés. Il suggère alors au richissime George Soros - «qui a dit vouloir que l'on se souvienne de lui comme un philosophe» - d'organiser un forum rassemblant «les plus grands esprits pour créer un système de gouvernement qui représente vraiment l'intérêt de l'homme moyen».

Ce sommet de Washington sera-t-il celui des grands esprits ? La lettre d'Andrew Lahde, elle, a en tout cas fait son petit effet.«Fantastique, presque poétique», s'emballe un blogueur. «Il a pris sa revanche, il devait penser à cette lettre depuis longtemps, il lâche tout ce qu'il a sur le cœur», commente Jorion, approuvant le chapitre sur la corruption et le lobbying qui ont permis à la crise de se propager. Disparu dans la nature et impossible à joindre, Andrew Lahde compte désormais s'occuper de sa santé,«détruite par le stress» de cette épopée financière. Sans doute en fumant quelques joints (il défend dans sa lettre la légalisation de la marijuana, autorisée en Californie pour ses vertus médicales). «Débarrassez-vous de votre Blackberry et profitez de la vie»,lâche-t-il comme ultime conseil aux traders."


Laureen Ortiz


http://www.liberation.fr/economie/0101266286-andrew-lahde-courtier-affranchi-de-la-finance