Il est temps de relire le "Cygne Noir", et d'en tirer des conséquences pour notre modèle de société et aussi comment gérer notre patrimoine.
Les risques sont largement sous-évalués d'une manière générale, et tout spécialement quand les banques centrales sont concentré sur le gonflement et le maintien des bulles pour préserver le système bancaire à tout prix.
La crise financière était un premier révélateur, et le coronavirus en est un deuxième...
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Professeur à l’Université de New York, le philosophe et statisticien américano-libanais, Nassim Nicholas Taleb est l’auteur du Cygne Noir, la puissance de l'imprévisible, un essai vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires dans le monde, dans lequel il théorise la survenue d’événements rares, qu’il juge imprédictibles. Selon lui, les hommes rationalisent a posteriori ces événements ayant bouleversé leur existence. Taleb a d’abord théorisé ces événements sur les marchés financiers, avant d’élargir le concept aux événements historiques. La survenue de l’épidémie de coronavirus est vue par de nombreux commentateurs comme un « cygne noir. » Mais qu’en pense le créateur de ce concept ?
Les risques sont largement sous-évalués d'une manière générale, et tout spécialement quand les banques centrales sont concentré sur le gonflement et le maintien des bulles pour préserver le système bancaire à tout prix.
La crise financière était un premier révélateur, et le coronavirus en est un deuxième...
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Professeur à l’Université de New York, le philosophe et statisticien américano-libanais, Nassim Nicholas Taleb est l’auteur du Cygne Noir, la puissance de l'imprévisible, un essai vendu à plus de 2,5 millions d’exemplaires dans le monde, dans lequel il théorise la survenue d’événements rares, qu’il juge imprédictibles. Selon lui, les hommes rationalisent a posteriori ces événements ayant bouleversé leur existence. Taleb a d’abord théorisé ces événements sur les marchés financiers, avant d’élargir le concept aux événements historiques. La survenue de l’épidémie de coronavirus est vue par de nombreux commentateurs comme un « cygne noir. » Mais qu’en pense le créateur de ce concept ?
Le coronavirus est-il un « cygne noir », comme c’est envisagé dans beaucoup d’articles, à savoir un événement imprédictible qui vient bouleverser l’environnement économique ?
Non, pas à proprement parler. Le « cygne noir. » est quelque chose que vous n’avez pas envisagé, qui sort de nos modèles, qui est une surprise totale. A posteriori, on se dit que les choses étaient prévisibles. Rétrospectivement mais pas prospectivement. Le « cygne noir » est épistémique, et dépend de l’observateur. Ainsi, le 11-Septembre était un « cygne noir » pour les victimes [qui ne l’ont pas anticipé], pas pour les terroristes [qui l’ont préparé durant des mois]. Il dépend fondamentalement de l’observateur.
J’ai envisagé un tel cas dans mon livre Le Cygne Noir, ces phénomènes de concentration et le fait que le « winner takes all » (le gagnant rafle tout), dans les domaines culturels, économiques ou biologiques. Par exemple, dans le passé, il était très difficile à une entreprise comme Google d’envahir toute la planète. Maintenant, elle le fait grâce au Web. Il était pratiquement certain que quelque chose du genre arriverait par un virus, qu’un virus frapperait toute la planète.
Ce virus était prévisible, si on regardait complètement les conséquences de la mondialisation. Mais il n’y a rien à craindre de la globalisation tant que l’on connaît les effets secondaires. Le problème, c’est que les gens regardent les choses sans les effets secondaires, et ce virus, c’est l’effet secondaire de la globalisation.
Une épidémie peut être jugulée, et des plans de santé préventifs existent. Comment expliquer qu’elle désorganise autant nos sociétés ?
Le problème dans cette histoire, c’est un problème de la modernité que j’appelle le « pseudo-empirisme ». Quand les gens ne connaissaient pas la statistique, ils comprenaient la dynamique des choses. Ils savaient qu’il fallait se méfier de certaines choses, et s’ils paniquaient à tort, les coûts étaient faibles. A l’inverse, si vous ne paniquez pas alors que vous auriez dû, vous êtes morts. Des soi-disant spécialistes ne comprennent pas que l’absence de preuve n’est pas une preuve d’absence et commencent à faire des erreurs énormes, comme comparer le virus d’Ebola à celui de la malaria, alors que les variables de contagion sont très différentes. On ne peut pas de la même façon comparer la grippe au coronavirus, qui a des propriétés statistiques très différentes.
Mais des épidémies comme le SRAS auraient dû nous alerter, on n’en a rien tiré ?
Nous sommes beaucoup plus connectés qu’il y a dix ans, 20 ans ou il y a 100 ans au moment de la grippe espagnole, ou encore plus loin au moment de la peste noire. Il y a de grandes chances que cette maladie finisse comme le SRAS, mais un petit risque que cela finisse différemment. Et il y a des risques qu’il ne faut pas prendre.
Doit-on s’attendre à une réorganisation complète du monde à l’issue de cette pandémie ?
Il faut rester dans le cadre du « cygne noir ». Quand le monde est connecté, une ville n’est pas un village, un Etat n’est pas une ville. Or, l’isolement est nécessaire dans certains cas. Plus l’espace est grand, moins il y aura d’espèces au mètre carré, et plus la concentration absurde de certains risques aura lieu. Le système du confinement est la bonne réponse. Et après la pandémie, il faudra revenir à un système décentralisé, où les gens prennent des décisions localement.
Un monde moins globalisé ?
On peut aimer la mondialisation, parce qu’on aime le cosmopolitisme par exemple, ou ne pas l’aimer. Moi je l’aime, mais il faut absolument déterminer d’où les problèmes peuvent venir. Les frontières ouvertes de façon inconditionnelle sont dangereuses. Un mécanisme de prudence veut qu’on ne puisse pas regarder les effets de cette mondialisation sans regarder aussi ses effets secondaires. On doit aller vers plus de localisme, et ça commence par les communes.
Qui sera le gagnant à l’issue de cet épisode ?
Le localisme. Les communes doivent décider, comme en Suisse. Les Etats-Unis sont aussi fondamentalement localistes. En France, vous avez tout centralisé. Alors que quand vous voyez un Etat fédéral relativement incompétent comme aux Etats-Unis, les collectivités locales sont capables de palier ses incompétences. L’État, s’il fait bien, ça marche, mais sinon, ça concentre les erreurs. La tendance mondiale est de revenir au modèle de la cité-Etat. Cette maladie, le coronavirus, sera peut-être relativement facile à éradiquer, mais la prochaine sera peut-être plus grave. Le système en place doit permettre de lutter efficacement.
L’État n’est pas un niveau efficace ?
Une personne dans un village comprend les risques qui l’affectent. Une personne à Washington s’en moque complètement, de ce risque dans le village. La raison pour laquelle le localisme marche, c’est qu’il ne faut pas trop éloigner les décideurs des conséquences de leurs décisions. Le localisme distribue les décisions et les risques. L’État central doit être un coordinateur, pas un décideur.
C’est un peu ce que disent les « gilets jaunes »…
Oui, les « gilets jaunes » sont localistes. Il y a des choses fausses dans ce qu’ils disent, mais là où ils ont raison, c’est que les fonctionnaires sont trop éloignés du terrain. L’État n’est pas une chose théologique abstraite. Les fonctionnaires ont une rente. Le système est centralisé, les gens qui font des erreurs restent. Nous vivons dans un monde finalement très fragile, et le phénomène de concentration accentue cette fragilité. Un système comme le nôtre va se casser et se refaire de façon plus robuste. Celui qui saura acheter de façon plus distribuée, et pas tout en Chine, saura survivre.
Vous êtes un ancien trader. Quel est votre regard sur les banques : sont-elles plus solides qu’en 2008, comme l’affirme le gouvernement français ?
La fragilité liée à la dette est énorme. Les Etats ont accumulé jusqu’à 20.000 milliards de dettes, et ça c’est fragilisant. Mais le sauvetage des banques s’est fait aux frais du contribuable. C’est vous qui avez sauvé les banques…