Emmanuel Todd : "Aujourd'hui, Gouverner c'est mentir"


Manifestation pour l'hôpital public à Marseille (26/05/2020)
Manifestation pour l'hôpital public à Marseille (26/05/2020) Crédits : SOPA Images / Contributeur - Getty


Le souverainisme, grand gagnant de la crise? 


Emmanuel Todd est docteur en histoire de l'université de Cambridge, anthropologue et chercheur à l'Institut national d'études démographiques (INED).
Je ne me considère pas comme un intellectuel. Je suis un chercheur, et je suis intervenu occasionnellement dans le débat parce que j'avais le sentiment d'avoir mis la main empiriquement sur des choses intéressantes que les gens n'avaient pas pour comprendre.     
(Emmanuel Todd)
Ce 18 juin paraissait au Seuil le premier numéro de Par ici la sortie !, nouvelle revue qui réunit de grands noms du monde intellectuel pour penser la crise du Covid-19. Aux côtés de Thomas Piketty, Eva Illouz, Michelle Perrot, ou Corine Pelluchon, Emmanuel Todd y a lui-même contribué à travers l'article « La défaite (pas si étrange) de nos élites », où il revient en outre sur la mauvaise gestion de la crise du Coronavirus par les pouvoirs publics en France. 
"Gouverner c'est choisir", c'est la formule de Mendès France. Aujourd'hui, en France, gouverner c'est mentir : sur les bénéfices de l'euro, sur le bien-être que va nous apporter la globalisation... [...] Quelque chose de formidable s'est passé dans cette épidémie : on a vu le mensonge en direct.[...] Quand il n'y a pas de masque parce qu'on n'a plus d'industrie, on est pris en flagrant délit de mensonge.       
(Emmanuel Todd)
Selon lui, le Covid-19 ne changera pas notre trajectoire historique, mais il va bien agir comme un révélateur et un accélérateur des vérités nationales. Par exemple, il note que la plupart des décès ont eu lieu dans le Grand Est et la région parisienne, et 30% dans les Hauts-de-France, en Auvergne-Rhône-Alpes, Paca et Bourgogne-Franche-Comté. Des zones qui dessinent ce qu'il nomme la carte de la « France des tempêtes », celle qui est bousculée par les crises industrielle ou migratoire, par contraste avec la France "abritée" et plus favorisée de l'Ouest.
L'épidémie de sida avait été un bouleversement beaucoup plus grand que cette épidémie.       
(Emmanuel Todd)
Selon lui, la pandémie montre la primauté de l'appareil industriel sur la monnaie, les pays n'ayant pas pris soin de leur industrie étant les plus durement touchés par cette crise, car ne disposant pas de l'équipement nécessaire à la lutte contre le Covid-19 : la France, l'Angleterre... en opposition à des pays comme l'Allemagne ou la Corée. Surtout, il craint un « vrai risque d'explosion sociale », non plus une lutte des classes civilisées pour répondre à l'incompétence qu'il dénonce des dirigeants, mais une véritable guerre civile en France.
Pour les pays avancés, le problème n'est pas d'arriver à la conclusion logique que seule la nation peut agir, mais d'avoir chez les citoyens de l'ensemble d'un pays, et pas seulement dans les classes dirigeantes, un substrat de sentiment collectif qui permet de mettre les choses en place. [...] Qu'est-ce qui fait qu'on est incapable de croire ensemble en un but commun, même si, en gros, on est d'accord?       
(Emmanuel Todd)
A l'heure où certains déplorent que le qualificatif « Rouge-brun » soit utilisé à tout va, notamment à l'encontre de Michel Onfray, qui, le 23 juin, publie de son côté le premier numéro de sa revue Front populaire pour donner naissance à ce qu'il nomme "l'union des souverainistes de droite, de gauche, et d'ailleurs", Emmanuel Todd s'est lui-même vu reprocher des prises de position souvent polémiques. Dans l'utilisation du terme «fascistoïde», par exemple, pour décrire le climat actuel. Terme qu'il maintient, lui qui prévient que la crise du covid-19 pourrait mettre à mal la « légalité républicaine » en jouant de cette atmosphère de désordre et de peur. 
A noter que Emmanuel Todd publie Eloge de l'empirisme. Dialogue sur l'épistémologie des sciences sociales (CNRS, 2020), un dialogue entre lui et plusieurs sociologues (Morgan Jouvenet...) et épistémologues, emmenés par Marc Joly. L’occasion, notamment, de revenir sur son parcours et sa méthode de recherche.